Des énarques au secours du cannabis

Mis à jour le vendredi 28 mai 1999
LES PARTISANS de la dépénalisation de la consommation
de cannabis viennent de recevoir un appui de taille : dans
l'un des rapports consacrés à la sécurité sanitaire rédigés
pour leur épreuve de sortie, une partie des élèves de l'Ecole
nationale d'administration (ENA) - promotion 1997-1999 " Cyrano-de-
Bergerac " - conclut à la nécessité de modifier la loi en
vigueur et de réprimer l'usage de cette substance par une
simple " contravention ". Pour ces élèves, futurs préfets,
conseillers d'Etat, hauts fonctionnaires de Bercy et, pour
certains, responsables politiques, le cannabis " illustre
parfaitement la problématique de l'intégration de la sécurité
sanitaire dans une politique de santé publique ". Pour tous
, le constat est clair : la loi du 31 décembre 1970, qui fait
de la consommation du cannabis un délit passible d'une peine
maximale d'un an de prison, n'est plus, aujourd'hui, respectée.
Compte tenu du nombre des consommateurs réguliers - estimé
à plus d'un million de personnes - la stricte application
de ce texte législatif réclamerait " un tel renforcement des
moyens répressifs " qu'elle est, en pratique, inenvisageable.
Sans doute faut-il ici tenir compte des critères sanitaires.
Or, estime-t-on à l'ENA, le critère sanitaire ne peut être
prioritaire, " car il faudrait alors interdire le tabac et
l'alcool, dont les effets nocifs sont supérieurs à ceux du
cannabis, même si ce dernier ne peut être considéré comme
totalement inoffensif. " Tout doit être mis en oeuvre afin
que dans ce domaine le discours soit " clair " et la politique
" effectivement applicable ". " Maintenir le système actuel
d'une loi sévère mais non appliquée lui ferait perdre sa crédibilité,
peut- on lire dans le rapport. Les peines associées au délit
d'usage de cannabis ne sont pratiquement pas appliquées, alors
que les interpellations qui mobilisent la police judiciaire
et le ministère public sont nombreuses. Le droit actuel est
donc inefficace et inefficient. " Dès lors, que doivent faire
la puissance publique, le législateur ? Les énarques reconnaissent
que la prévention des risques pour autrui (incitation à la
consommation, conduite en état d'ivresse cannabique...) plaide
en faveur du maintien d'une interdiction. Mais, en contrepartie,
ils soulignent l' " acceptabilité
sociale " du cannabis et notent que le comportement de l'usager
de cannabis n'induit pas de troubles à l'ordre public comparables
à celui du consommateur de drogues considérées comme dures
ou même de l'alcoolique en état d'ivresse. " SANCTION PROPORTIONNEE
" Aussi, pour les énarques, considérer l'usager de cannabis
comme un délinquant au même titre que l'héroïnomane semble
injustifié, et s'il " convient de maintenir un interdit, la
sanction à imposer à l'usage du cannabis doit être proportionnée
". En pratique, pour les élèves de la promotion " Cyrano-de-Bergerac
", une solution s'impose : " supprimer le délit d'usage illicite
du cannabis et le remplacer par une contravention de la classe
maximale [5e classe, soit 10 000 francs ". Les autres infractions
(le trafic, la production, l'incitation à l'usage de cannabis)
resteraient dans le champ du délit. Les auteurs de cette analyse
trouveront-ils, au cours de leur future carrière professionnelle,
les moyens de concrétiser une telle proposition, qui nécessite
une loi et un décret en conseil d'Etat ? Dans l'attente, un
autre de leurs souhaits a d'ores et déjà été réalisé : l'augmentation,
via la nouvelle loi de finances, des taxes sur tous les produits
du tabac. " Mais, ajoute-t-on à l'ENA, le prix du tabac devrait
être uniformisé sur tout le territoire. Justifier, comme on
le fait aujourd'hui, un prix de vente inférieur d'un tiers
en Corse par des impératifs d'aménagement du territoire nous
semble très singulier du point de vue de la santé publique...
"
jeudi 31 décembre 1998
Droits de reproduction
et de diffusion
réservés; © Le Monde 1999
Usage strictement personnel.
L'utilisateur du site reconnaît avoir pris connaissance de
la Licence de droits d'usage, en accepter et en respecter
les dispositions. Lire la Licence.
Cet article est paru dans:
http://www.lemonde.fr/article/0,2320,48523,00.html
|