
ÉDITORIAL
L'échec de la prohibition
Michel Venne
LE DEVOIRLe mercredi 16 juin 1999
Il est ironique que la proposition vienne d'un sénateur. Et d'un
sénateur conservateur par-dessus le marché. Pierre-Claude Nolin
recommande au Sénat de former un comité qui aurait pour tâche
de réévaluer les politiques antidrogues en vigueur au Canada,
dans la perspective de relâcher au moins partiellement la prohibition.
M. Nolin raconte avoir lui-même fumé du cannabis lorsqu'il était
plus jeune. Il ne s'est jamais fait prendre et il souhaite que
ses enfants ne risquent pas à leur tour d'être traités en criminels
pour avoir fumé un peu d'herbe.
En 1997, au Canada, 70 % des accusations relatives aux drogues
étaient liées à la consommation de marijuana. Quelque 600 000
Canadiens ont un casier judiciaire pour simple possession. Et
heureusement que dans certaines villes, comme Montréal, la police
ferme les yeux. À peine 1 % des consommateurs sont épinglés.
Ces chiffres mettent en lumière l'absurdité de confiner, comme
le fait le gouvernement Chrétien, la décriminalisation de la mari
uniquement à des fins thérapeutiques. La voie médicale viendrait
se superposer à un usage récréatif largement répandu. Comment
distinguera-t-on, à l'avenir, un plant de pot légal autorisé pour
fins médicales d'un plant illicite? Et bonjour le trafic de fausses
ordonnances d'herbe médicamenteuses...
La prohibition cause des problèmes. La répression pousse les
consommateurs de drogues dans la clandestinité et nuit aux programmes
de désintoxication. Une approche de santé publique serait plus
pertinente qu'une approche criminelle.
Même la police a compris. L'Association des chefs de police
s'est prononcée récemment pour la décriminalisation de la possession
de petites quantités de stupéfiants. Le Barreau canadien prône
cette mesure depuis 1978, de même que le Comité permanent de lutte
contre la toxicomanie du Québec.
Comme société, il y a longtemps que nous avons compris qu'il
était possible de traiter l'alcoolisme autrement que par la prohibition
qui n'avait servi qu'à enrichir la mafia, comme la drogue enrichit
aujourd'hui les gangs de motards criminels. Il est temps que l'on
envisage autrement notre rapport aux drogues.
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