1 Introduction
La plante Cannabis sativa est utilisée depuis plus de 4 000 ans pour
traiter divers signes ou maladies : la migraine, l épilepsie,
le glaucome, la douleur, les crampes musculaires. De cette plante
a pu être extrait le Cannabis ou marijuana, utilisé de manière illicite. Le composé principal
du cannabis est le D-9-tétrahydrocannabinol
(D9-THC) (Figure 1). Cette substance agit sur des récepteurs spécifiques
(les récepteurs cannabinoïdes) dont deux ont été clonés et séquencés,
les CB1 (principalement représentés dans le système nerveux central)
et les CB2 (principalement situés sur le système immunitaire périphérique).
La découverte de récepteurs (endogènes) au cannabis (exogène)
a conduit à l'identification de composés lipidiques endogènes
qui se lient sélectivement sur ces récepteurs cannabinoïdes, tant
dans le cerveau que dans les tissus périphériques. Ces ligands,
agonistes des récepteurs, sont appelés les endocannabinoïdes.
La réceptologie du cannabis est indispensable à connaître aujourd
hui pour aborder la pharmacologie de la dépendance de l'addiction
et du plaisir et surtout entrouvrir des chemins peu classiques
en neuropsychopharmacologie.
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2 Les récepteurs cannabinoïdes
C'est la synthèse d un ligand moins lipophile
que le D9-THC, très sélectif
et de haute affinité pour les sites au cannabis, le CP 55940, qui
a permis la découverte de deux types de récepteurs cannabinoïdes,
le CB1 et le CB2.
Le CB1 a été cloné et séquencé chez le
rat, la souris et l être humain ; ce récepteur appartient à la
famille des récepteurs couplés à la famille des protéines G, présentant
des boucles transmembranaires (Figure 2). Le CB2, cloné plus tardivement chez l'homme et la souris présente
une faible homologie de séquence d'acides aminés avec le CB1 (44%)
sauf au niveau des séquences transmembranaires (68 %). Des souris
Knocked-Out en CB1 et CB2 ont été obtenues, expériences laissant
présager l'existence d'autres types de récepteurs cannabinoïdes.
La distribution des CB1 dans le cerveau humain correspond aux structures anatomiques impliquées dans les effets principaux
du cannabis sur la mémoire, les perceptions sensorielles et les
contrôles moteurs soit l'hippocampe, le cortex associatif, le
cervelet et les ganglions de la base. L absence de CB1 dans le
thalamus, le tronc cérébral et la moëlle épinière expliquerait
que l'abus de marijuana ne s'accompagne pas de risques vis à vis
des fonctions vitales ou végétatives. Les CB1 existent également
en dehors du système nerveux central : testicules, intestin grêle,
vessie, vas-déferens, musculature lisse des vaisseaux cérébraux
ainsi que sur les terminaisons nerveuses pré-synaptiques du système
orthosympathique.
La distribution des CB2 est essentiellement périphérique en dehors
des cellules microgliales du rat : les cellules de l'immunité
(monocytes, lymphocytes B et T...) les amygdales, la rate.
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3 Les ligands endogènes
3.1 L'anandamide
Le premier agoniste endogène des récepteurs
cannabinoïdes est l'anandamide (ananda en Sanskrit signifie la béatitude) correspondant
à l'acide arachidonique lié à l'éthanolamine par une liaison amide.
Ce composé endogène existe en grande quantité dans le cerveau
mais également dans le testicule et la rate.
L'anandamide déplace le binding des agonistes cannabinoïdes des
CB1 et CB2, se comporte en inhibiteur de l'activation de l adénylcyclase,
inhibe les courants calciques des canaux N et stimule la mobilisation
(indépendante des récepteurs) de l acide arachidonique et du
calcium. Ce composé endogène, quoique faiblement affine pour les
récepteurs, mime les effets du D9-THC : hypothermie, analgésie, hypomotricité et
catalepsie. Le R(+)-Méthanandamide (M186) est plus affine et plus
résistant à l hydrolyse par les aminopeptidases.
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3.2 Le 2 arachidonyl-Glycérol
(2 AG)
Le 2 AG est un autre endocannabinoïde identifié dans le cerveau.
Il est également peu affine pour les CB1 et les CB2, mais ses
concentrations cérébrales sont 200 fois plus importantes que celles
de l'anandamide. Il est relargué lors d une stimulation par la
ionomycine (ionophore calcium) via probablement la stimulation
de la phospholipase C.
Toute une série d autres acides gras éthanolamides possédant
une chaine carbonée, sont des candidats potentiels dans cette
famille de ligands endogènes ; ils pourraient déboucher sur la
mise en évidence de nouveaux sites récepteurs (exemple du récepteur
périphérique palmitoyl-éthanolamide).
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3.3 Métabolisme
a) La synthèse de l anandamide se fait à partir d un précurseur
phospholipidique hydrolysée par la phospholipase D. En présence
d un excès de calcium, l acyl transférase conduit au N-arachidonyl
phosphatidyl éthanolamide.
b) Le catabolisme enzymatique (aminohydrolase) et une recapture
contribuent à la dégradation rapide des ligands endogènes des
récepteurs aux cannabis. L enzyme de dégradation (qui admet également
comme substrat un facteur inducteur de sommeil, l oléamide)
est appelée la "Fatty Acid Amide Hydrolase" ou FAAH. Des inhibiteurs
de cette FAAH ont été développés. L enzyme se trouve dans le
cytoplasme des neurones ce qui signifie que le catabolisme enzymatique
implique au préalable, une diffusion ou une recapture. La recapture
de l anandamide est sélective, saturable et dépendant de mécanismes
sodiques et énergétiques. Un inhibiteur du transporteur (non clairement
identifié) de l anandamide a été développé, l AM 404.
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4 La pharmacologie des
récepteurs au cannabis
4.1 Les agonistes
Plusieurs agonistes non spécifiques ont été
synthétisés, notamment des analogues de la structure tétrahydropyrane
du D9-THC : HU 210, Nabilone
; d autres agonistes sont éloignés de la structure des cannabinoïdes
: CP 55 940, WIN 55 212-2, Levonantradol. Des agonistes des CB2
sont en cours de développement : JWH 015, 1-déoxy HU 210 ou le dérivé
indole de l indomethacine, le morpholinylamide.
4.2 Les antagonistes
Plusieurs antagonistes sélectifs des CB1
ont été synthétisés : SR 141716A, AM 630, LY 320 135. Un puissant
antagoniste sélectif des CB2, existe : le SR 144528.
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4.3 La notion d'agoniste
inverse
L AM 630 et le SR 1417 6A spécifique
des CB1 ont des propriétés agonistes inverses ; ceci laisse suggérer
que l activité spontanée de ce récepteur est très élevée, la
liaison avec les ligands atténuant cette activité "physiologique".
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Les CB1 et CB2 diffèrent notablement dans
leur couplage aux mécanismes de transduction, même si tous deux
inhibent l adényl-cyclase via les protéines G (Famille Gi/Go)
sensibles à la toxine pertussis.
L activation des CB1 bloque les canaux calciques de type N, P
et Q et active les canaux potassiques. C est le blocage des canaux
calciques de type N qui rend compte de l effet inhibiteur du
cannabis sur des systèmes identifiés de neurotransmetteurs : inhibition
du relargage de l acétylcholine dans l hippocampe, de la noradrénaline
dans l hippocampe, cortex, cervelet et au niveau des terminaisons
nerveuses périphériques, inhibition de la transmission glutamatergique
dans l hippocampe.
L activation par les CB1 et les CB2 des protéines Gi/Go explique
l inhibition de l accumulation d AMP cyclique dans les cellules
cibles. Cette inhibition de la messagerie AMP cyclique, en cascade,
rend compte de la diminution de la synthèse d'oxyde nitrique (NO)
par les substances cannabinoïdes (répression du gène NO synthase)
ainsi que l atténuation des fonctions immunitaires (CB2). D autres
phénomènes intracellulaires sont liés à une modulation directe
des sous-unités beta et delta des protéines G. C est le cas,
par exemple, de l activation par les agonistes cannabinoïdes
des mitogen activated protein (MAP) Kinases. Cette activation
des MAPKinases conduit, en cascade, à l activation de facteurs
de transcription (Facteur Krox 24) et de l activité tant des
facteurs Fos (C-fos ;D-Fos B) que du binding de l AP1 à l ADN (site du gène
des GluR2). Cette cascade de réactions est un exemple supplémentaire
de l impact d une substance exogène (ici le cannabis) sur l
expression génique et donc une explication des modifications
retardées et à long-terme survenant dans le cerveau après administration
d une substance exogène (plasticité cérébrale, dépendance, transformation
d une réponse aiguë en une adaptation structurale à long-terme,
mémoire...) La dépendance induite par le cannabis et la marijuana
s explique tant par l inhibition de l adénylcyclase que par
l induction du D-FosB.
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Références :
- HIROI et al. PNAS 1997 ; 94 : 10 397-10402
- CHEN et al. Mol pharmacol 1998 ; 54 : 495-503.