Laurent
Joffrin, directeur de la rédaction du Nouvel Observateur,
refuse
de "poursuivre dans l'hypocrisie".
Faut-il poursuivre dans l'hypocrisie?
La France continue d'interdire en principe
ce qu'elle accepte en réalité: la consommation de marijuana,
de haschich et autres dérivés du cannabis. Des millions de
Français, jeunes et moins jeunes, consomment couramment du
cannabis, souvent au vu et au su de tout un chacun.
La police les laisse faire et se contente de pourchasser 'souvent
assez mollement' les trafiquants. Ainsi cet acte prohibé par
la loi ne l'est plus par la police et la justice.
On dira qu'on ne sort de l'ambiguïté qu'à son détriment et
qu'une légalisation officielle aurait l'inconvénient de lever
l'interdit moral qui continue de peser, aux yeux d'une partie
de l'opinion, sur ces substances. Recevant ainsi la bénédiction
implicite du législateur, la consommation de "drogues douces"
pourrait croître soudain dans des proportions considérables.
Mais on sait aussi que ces fumées ne sont pas toxiques,
sauf à dose très élevée, qu'elles ne présentent aucun risque
d'addiction physiologique et que les véritables problèmes
d'accoutumance et de santé publique sont ailleurs : dans
l'excès d'alcool, de médicaments ou dans la dissémination
des "drogues dures".
On dira encore qu'il n'est point besoin de rajouter une toxicomanie
nouvelle, même bénigne, à celles qui existent. Certes, mais
on néglige l'effet pervers de l'interdiction.
En accroissant le prix de vente du haschich
et de la marijuana, la prohibition fournit aux trafiquants
une source de profits abondants. Les réseaux de dealers sont
en fait contrôlés la plupart du temps par des criminels brutaux
et actifs, qui cherchent sans cesse à gagner de nouveaux consommateurs.
Les lycéens ou les collégiens désireux de
se procurer du cannabis doivent la plupart du temps s'adresser
à des dealers, c'est-à-dire entrer en contact avec cette pègre
nouvelle, avec tous les dangers que cela comporte. Personne,
évidemment, ne contrôle la qualité des produits proposés.
Dans ces conditions, une légalisation encadrée, avec des points
de vente connus et contrôlés, apparaît comme une bien meilleure
solution. Au lieu d'être encadrée par des gangsters, la
consommation le serait par quelques professionnels soumis
à contrôle, ce qui constituerait tout de même un progrès.
Bien sûr, la chose mérite discussion. Au sein du Nouvel
Observateur les opinions divergent et plusieurs fois nous
avons fait état de ces interrogations. Aujourd'hui la France
est mûre pour le débat. Ouvrons-le'
L.J.
* Laurent Joffrin est directeur de la rédaction du Nouvel
Observateur
ljoffrin@nouvelobs.com
|