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Les élus
genevois veulent dépénaliser le cannabis.C'est
hors de leur pouvoir
Sylvie Arsever
Est-ce
la révolution ou une manifestation de folklore local? La décision
du Conseil municipal genevois quasi unanime de préconiser
l'ouverture en ville de Genève de points de vente contrôlée
de cannabis risque fort de n'avoir que peu de conséquences
pratiques. Mais son poids politique n'en est pas pour autant
négligeable au moment où le Conseil d'Etat trahit, par son
silence prolongé, l'embarras dans lequel le plonge le débat
engagé sur la modification de la loi fédérale sur les stupéfiants
(Le Temps du 14 février).
Mercredi soir, les conseillers municipaux ont créé la surprise
en se mettant largement d'accord sur une résolution présentée
par les Verts sous le titre «Cannabis, arrêtons cette hypocrisie!».
Le texte écologiste proposait d'appuyer la proposition mise
en consultation par le Conseil fédéral de dépénaliser la consommation
de toutes les drogues et d'ouvrir la porte à la mise en place
d'un commerce contrôlé du chanvre. En outre, il demandait
au Conseil administratif «de proposer aux autorités cantonales
et fédérales d'accueillir au plus vite en ville de Genève
une ou plusieurs expériences pilotes en vue de la dépénalisation
de la consommation de cannabis et de sa mise en vente contrôlée».
Il semblait pouvoir faire le plein des voix de gauche. Mais
il n'était pas acquis qu'il emporterait également, moyennant
quelques amendements, celles du PDC et, à deux abstentions
près, celles du Parti radical. Le texte final propose que
la vente contrôlée de chanvre soit réservée aux adultes, qu'elle
soit accompagnée d'une information sur les risques des produits
et prévoit une évaluation après une année d'expérience. Seuls
les libéraux l'ont combattu.
Même pourvu de ces cautèles, le projet échappe à la compétence
des autorités municipales et même aux autorités politiques
cantonales. Tant que la consommation et la vente de drogue
resteront des infractions, leur poursuite dépendra du procureur
général Bernard Bertossa, lequel n'est guère favorable à un
assouplissement. Dans le cadre de la consultation fédérale,
le magistrat a fait savoir en termes nets au Conseil d'Etat
qu'il était opposé à toute légalisation du chanvre, au nom
notamment de la collaboration policière et judiciaire avec
les pays qui nous entourent. «Nous ne mettons aucun acharnement
particulier à poursuivre les vendeurs de chanvre, précise
Bernard Bertossa. Mais nous ne tolérons aucun commerce organisé
et durable. Et la position des autorités municipales n'est
pas de nature à nous faire changer de pratique. Je trouve
au contraire irresponsable de la part de corps constitués
de préconiser des «expériences» contraires à la loi.»
Mais la loi, justement, pourrait changer. Et c'est dans ce
cadre que la démarche des élus de la Ville de Genève prend
tout son sens. Le Conseil fédéral a mis en circulation cinq
projets qui prévoient tous un certain assouplissement. La
majorité des cantons et des grands partis politiques se sont
prononcés pour une dépénalisation de la consommation de chanvre
accompagnée par une tolérance, à négocier, à l'égard de certaines
formes de vente. Trois cantons romands Vaud, Neuchâtel et
le Valais sont les seuls à s'opposer à tout assouplissement.
Et un canton, Genève, n'a pas encore fait entendre sa voix
dans cette consultation, qui a pris fin le 31 décembre.
Décision contrepoids
Le 9 février, le Conseil d'Etat genevois s'est penché une
première fois sur la question et a décidé de se procurer quelques
informations supplémentaires avant de se prononcer. Mais on
le sait d'ores et déjà divisé. Le responsable du Département
de l'action sociale et grand maître d'Suvre de la politique
genevoise de la drogue, Guy-Olivier Segond, a toujours défendu
une ligne à la fois ouverte et pragmatique qui s'accomoderait
sans doute d'un allégement de la loi pénale. A la tête de
l'autre département concerné, Justice et police, se trouve
au contraire un partisan de la ligne dure, Gérard Ramseyer.
Ce dernier n'a d'ailleurs pas attendu que le collège gouvernemental
se forge une opinion collective pour clamer la sienne la semaine
dernière. A l'occasion de la conférence de presse annuelle
de la police, il a dénoncé avec sa fougue coutumière «les
vicissitudes et les humiliations» dans lesquelles nous entraînerait
selon lui une dépénalisation. Dans cette situation, la décision
du Municipal peut constituer un contrepoids bienvenu pour
ceux qui, au sein du collège gouvernemental, veulent faire
bouger les choses.
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