logotie.jpg (17723 octets)

 

Paru le : 9 janvier 2002


L’autorité judiciaire valaisanne joue un étrange père fouettard

• Bernard Rappaz fait la grève. L’autorité a fait du zèle. Des agriculteurs s’étonnent de ce soudain réveil judiciaire contre le chanvrier, tandis que d’autres craignent que l’affaire ne fasse le lit des anticannabis.

CHARLES PRALONG

Le pouvoir judiciaire valaisan ne joue-t-il pas un étrange rôle en menant l’une de ses plus vastes opérations de répression policière contre le cannabis? Pendant que le climat est à l’ouverture sous la Coupole et qu’un Conseil des Etats réputé conservateur accepte à une large majorité la dépénalisation du cannabis, le Valais endosse le costume d’un père fouettard de mauvaise humeur.
L’attitude n’a pas seulement stupéfait les amis de Bernard Rappaz. Des producteurs sous contrat avec Valchanvre dénoncent une manière de faire qu’ils jugent déconcertante: «Tout le monde en Valais connaissait les activités de Bernard Rappaz. Pendant des années, l’Etat a perçu des impôts; il n’a rien dit, alors qu’il avait des instruments de contrôle.» Pour le président de Biovalais, Gérard Constantin, le canton a volontairement fermé les yeux, pour les ouvrir «au moment le plus médiatique».
Les agriculteurs, pas seulement bio, sont interloqués. On leur a présenté le chanvre comme une culture alternative intéressante alors qu’ils vivent une période difficile. Pas intéressante pour le pétard, mais pour des usages dérivés, comme les huiles essentielles, l’usage alimentaire ou textile. Certains vignerons, loin de tout milieu interlope, s’y sont mis. Et voici qu’à leurs yeux, le chanvre fleurit d’un diable. «On dramatise, on fait des amalgames», regrette Gérard Constantin. «50 tonnes de chanvre, ça paraît énorme, mais ça ne correspond qu’à 100 à 150 litres d’huile essentielle sans substance active!»

 

 

 

LE CAS RAPPAZ
Le président de la Chambre valaisanne d’agriculture, Claude Bertholet, juge «anachronique» la démarche de l’autorité. Mais il lui trouve des excuses: «Le dossier Rappaz a connu de multiples péripéties, les juges ont appris à être prudents avant d’agir. Comme beaucoup de Valaisans, Claude Bertholet affirme son respect de la loi, et sa confiance dans l’autorité qui la représente. Et puis il n’a que peu de sympathie pour Bernard Rappaz...
On touche ici un point sensible. Le chanvrier est perçu comme un personnage ambigu, sympa mais malin, plein d’initiative mais jamais oublieux de ses intérêts et finaud pour utiliser les médias. Or on ne parle pas d’affaire Valchanvre, on parle surtout de lui. Le député du Parti chrétien-social Dominique Savioz estime que cette focalisation fausse le débat. Et le débat est déjà assez complexe comme ça: «Tout est paradoxal. La Confédération donne un message de tolérance, pendant que le Valais réprime. Il y a une zone grise, et ceux qui s’y trouvent doivent être très droits et honnêtes.»
Quant aux producteurs bio qui s’interrogent sur l’attitude de l’Etat, ce n’est pas tant Rappaz qu’ils défendent, dénonçant plutôt l’impasse dans laquelle on les met. Nombre d’entre eux ont livré du chanvre à la société; ils ne veulent pas abandonner leurs créances: «Le juge n’a même pas pris contact avec nous. Nous sommes ulcérés», commente Gérard Constantin.

 

 

 

UN AUTOGOAL CALCULÉ?
Pour le conseiller national socialiste Stéphane Rossini, l’affaire pourrait biaiser le débat politique: «C’est un autogoal, qui rend un très mauvais service à la libéralisation du cannabis.» Selon lui, les lobbies opposés à cette évolution ont trouvé une facile pitance pour nourrir leurs arguments, du genre: quoi donc? On trouve des tonnes de chanvre suspect, alors même qu’on dépénalise? Imaginez le trafic sur le dos de la jeunesse quand le marché sera libéralisé... Voilà qui pourrait peser, pas tant sur le Conseil National que sur la campagne «qui animera le référendum qui va suivre». De là à dire que l’autorité valaisanne, très froide vis à vis de la dépénalisation, a choisi d’agir pour influencer l’opinion, il n’y a qu’un pas. Stéphane Rossini ne le franchit pas, mais dit: «Je ne suis pas étonné que l’autorité soit intervenue maintenant. C’est un moment charnière.»
Les paysans, eux, sont perplexes. Que se passera-t-il? On assiste déjà au Tessin à une spéculation sur les terrains. Des investisseurs attirés par le marché juteux du chanvre récréatif anticipent l’évolution légale. «Cela m’inquiète. Cette culture devra se limiter à une activité industrielle strictement contrôlée», commente Gérard Constantin.


Des policiers avaient séquestré, en novembre, 50 tonnes de chanvre dans les locaux de la société Valchanvre. La découverte d’un laboratoire clandestin de transformation et de plaques de haschich avaient confirmé leurs soupçons. L’opération a provoqué la détention préventive du patron de la société, Bernard Rappaz, pour infraction à la loi sur les stupéfiants.

Celui-ci proteste depuis cinquante-cinq jours par une grève de la faim.

 

........

 

..

EnSuisse:

 

Sponsors

et Hébergement

 

 

..